Le 1er novembre 2015, à 18 heures, ils étaient quelques milliers de Grecs les yeux rivés sur l’écran de leur ordinateur. La page qu’ils regardaient tous en même temps ? www.1101.gr. Depuis août, le buzz avait fait son effet. Trois spots vidéos mis en ligne à quelques semaine d’intervalle sur les réseaux sociaux mettaient les internautes en haleine. Les participants ? Des personnalités connues, et reconnues pour leur voix détonnante. Comme Aglaia Kyritsi, ex-journaliste du groupe audiovisuel public ERT, qui avait animé un journal télévisé devant les grilles de l’immeuble, après la fermeture brutale en juin 2013… sous les regards d’un public dense, et celui des CRS grecs. Ou Kleon Grigoriadis, dont la prise de bec, en direct, avec une présentatrice d’une grande chaîne de télévision, lors de la campagne référendaire en juillet, est encore dans toutes les mémoires – il lui avait notamment dit que le déferlement de propagande était incroyable. Et même l’ex-ministre des Finances, Yanis Varoufakis, dont la liberté de ton continue de défrayer les chroniques en Grèce… et bien au-delà.
Mais, en fait, « 1101 », c’est quoi ? « C’est un mouvement reposant sur la défense de la presse indépendante », explique Kostas Efimeros, dont le site ThePressProject(TPP) est à l’initiative du projet. Lancé en 2010, TPP est lu par 240 000 à 400 000 visiteurs uniques chaque jour, dans ce pays de 10,8 millions d’habitants. « TPP est l’un des rares sites Internet indépendants qui fasse de la production originale d’information et d’investigation », confirme Nikos Smyrnaios, enseignant-chercheur à l’université de Toulouse (1). « Information et investigation », ces deux mots reviennent comme des leitmotivs dans la bouche de Kostas Efimeros quand il décrit, avec passion, son projet dans les bureaux aux murs bleus où est installée la rédaction de TPP. Tout à coup, un oiseau se met à pépier dans sa cage. Kostas Efimeros s’amuse : « c’est notre Twitter à nous ». Mais le trentenaire est le premier à savoir maîtriser les réseaux sociaux et Internet. A la base, il avait même créé une société de services informatiques. Désormais, son équipe et lui veulent « utiliser tous les supports sur le Web », de l’écrit à la vidéo, en passant par le son… Outre le maintien en vie de TPP, confronté à d’importantes difficultés financière, le mouvement 1101 veut déveloper des « réseaux de journalistes » et défend la nécessité d’un code éthique du journalisme, en cours d’écriture, que devraient signer les rédactions en Grèce. Il veut aussi favoriser les collaborations, comme avec Wikileaks, et, à terme, créer un véritable centre de formation au journalisme d’investigation.
Kostas Efimeros et ses collaborateurs ont donc pris leur bâton de pèlerin pour faire la tournée des personnalités, de toutes tendances politiques (sauf les néo-nazis d’Aube dorée) et les convaincre de les soutenir. Yanis Varoufakis est l’un de ceux qui ont répondu présent. C’est pour l’ancien ministre un impératif que de s’engager pour le développement d’un « média indépendant » et d’encourager ce « groupe de journalistes excellents, plus ou moins jeunes, pour que leur site et leurs projets puissent vivre ». Car, dit-il, « le processus électoral est nécessaire mais n’est pas suffisant pour que la démocratie reste alerte », d’autant qu’il est détourné « par ceux qui manipulent l’opinion publique et se livrent à un véritable lavage de cerveau en usant de la propagande et des mensonges au profit d’intérêts particulier. » Et de dénoncer « les médias qui servent l’oligarchie, voire qui lui appartiennent ».
Un constat partagé par Giorgos Pleios, professeur à l’Université d’Athènes, qui a lui aussi soutenu le projet. « En Grèce, les grands systèmes médiatiques sont contrôlés par l’élite soit économique, soit politique, soit par les deux. » Cette imbrication, désignée en grec par le vocable « diaploki », est parfaitement représentée par le schéma publié sur le blog de Nikos Smyrnaios : il révéle l’extrême concentration des médias, qui sont dans les mains d’un petit nombre d’industriels, armateurs…
(1) Nikos Smyrnaios a écrit un chapitre consacré aux médias face au référendum dans « Les Grecs contre l’austérité, (Il était une fois la crise de la dette) », dirigé par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis (Ed. Le Temps des cerises, à paraître le 23 novembre 2015).
Aux yeux de tous les interlocuteurs, ce système a une conséquence : « il ne permet pas aux journalistes de traiter de certains sujets, comme les suicides liés à la crise ou les questions du chômage », analyse Giorgos Pleios. Pour lui, « une propagande grossière, une pression psychologique, et une manipulation de l’opinion » en sont les caractéristiques. « La semaine précédent le référendum du 5 juillet, les reportages les plus affolants étaient diffusés ; des mensonges étaient diffusés sur les banques, des supermarchés vides… », rappelle Kostas Efimeros.
C’est exactement l’exemple de ce avec quoi cette équipe veut rompre et bannir des pratiques journalistiques, pour rendre à l’information et à la politique leurs lettres de noblesse. Et Kostas Efimeros de conclure : « c’est une nécessité sociale que d’impulser un mouvement de changement des médias grecs maintenant. »
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