En seulement six heures, la cour d'appel des crimes graves de Samos, en Grèce, a condamné neuf demandeurs d’asile à de lourdes peines de prison pour trafic de migrants. Chaque procès n’a duré qu’environ une demi-heure, et plusieurs accusés se sont vu refuser leur droit à un procès équitable. Le tribunal les a reconnus coupables en vertu de la loi 5038/2023 (anciennement loi 4251/2014), qui criminalise la conduite de bateaux transportant des migrants, qu’il s’agisse de passeurs ou de personnes contraintes de prendre la barre. Pendant l’audience, la juge a insisté sur la sévérité de la loi grecque : « Ils devraient le savoir, et s’ils ne le savent pas, ils doivent l’apprendre », a-t-elle déclaré. Bien que cette loi prévoie des exemptions pour les demandeurs d’asile, le tribunal a prononcé des peines allant jusqu’à 50 ans de prison, avec un maximum de 25 ans à purger – une peine qui équivaut à une réclusion à perpétuité selon la législation grecque.

Mission de ThePressProject à Samos, 17/02/2025

Reportage : Nektaria Psaraki

Procès expéditifs, défense limitée

Les accusés étaient trois ressortissants turcs, un Kurde, un Tadjik et quatre Syriens. La plupart affirmaient avoir été forcés de piloter les bateaux sous la menace ou pour réduire le coût de leur voyage, sans intention criminelle. Chaque procès n’a duré que 30 minutes. Certains accusés n’avaient pas d’avocat et ont été représentés par des avocats commis d’office, désignés seulement quelques minutes avant l’audience, leur laissant à peine le temps d’examiner les dossiers.

C’est le cas de P., un réalisateur kurde zaza, condamné à 50 ans de prison (dont 25 à purger). Son avocat a été désigné à la dernière minute. P. avait fui la Turquie après avoir été poursuivi pour ses films, qui relataient l’histoire de sa mère et de la communauté kurde zaza. Accusé en Turquie d’« insulte à la nation, outrage au drapeau et aux autorités, atteinte à l’intégrité du pays et incitation à la haine », il a également subi des menaces de mort après s’être marié en secret avec une Turque. Ne pouvant pas payer les 8 000 € exigés par les passeurs, il avait accepté une réduction en échange de la conduite du bateau – un choix qui lui a valu un aller simple vers la prison de Korydallos, sans retour.

Malgré l’absence de soutien juridique adéquat, aucun des accusés n’a plaidé coupable. Leurs avocats leur avaient conseillé de le faire pour avoir des peines réduites, mais ils ont préféré défendre leur innocence, espérant que la cour reconnaîtrait leur détresse.

Des peines sévères malgré des circonstances atténuantes

À 11h30, le tribunal avait déjà condamné quatre ressortissants turcs à de lourdes peines. Ils affirmaient tous être des demandeurs d’asile contraints de piloter les embarcations, faute de pouvoir payer les passeurs. Certains disaient avoir été menacés, d’autres ignoraient qu’ils commettaient un crime.

Lors de l’annonce des verdicts, la juge s’est adressé à l’interprète :

« Dites-lui que les peines pour ce crime sont très sévères en Grèce. Il a été condamné à 25 ans de prison. Il peut faire appel. »

À un moment, la juge a ajouté :

« Il semble qu’ils ne savent pas qu’en Grèce, le pilote est puni. S’ils ne le savent pas, ils devraient l’apprendre. »

Face à la sévérité des peines prononcées, le cinquième accusé a changé de stratégie. D’abord décidé à plaider non coupable, il a finalement plaidé coupable, suivant le conseil de son avocat. Cette tactique lui a permis de réduire sa peine à 10 ans de prison, bien plus clémente que les 25 ou 50 ans infligés aux autres.

Peur et désespoir : le cas de I.K.

Parmi les accusés syriens, I.K. était poursuivi pour avoir conduit un bateau transportant cinq passagers, qui n’ont jamais été retrouvés. Ce chiffre provenait de sa propre déclaration lors de l’enquête préliminaire. Il était également accusé de désobéissance pour ne pas s’être arrêté lorsque les autorités grecques le lui avaient ordonné.

Se défendant lui-même, I.K. a déclaré qu’il avait fui la Turquie pour échapper à une expulsion vers la Syrie et qu’il ignorait que piloter le bateau était un crime.

« Je voulais juste être sauvé. Je ne me suis pas arrêté car c’était le matin, je n’ai pas vu les signaux. Et puis, ils portaient des cagoules et tenaient des armes – j’ai eu peur qu’ils me renvoient en Turquie. »

Lorsqu’on lui a rappelé qu’il avait affirmé avoir été visé par des tirs, il a précisé :

« C’est vrai. Une fois les autres débarqués, ils ont pointé leurs armes sur moi. »

Une interprétation biaisée de la loi

Les avocats de la défense ont soutenu que leurs clients auraient dû être exemptés de poursuites en vertu de l’article 3 de la loi 5038/2023, qui exclut les demandeurs d’asile relevant de la Convention de Genève de 1951.

Maître Dimitris Choulis a rappelé qu’en octobre dernier, un autre tribunal de Samos avait acquitté un demandeur d’asile en appliquant cette exemption. Mais la procureure a rejeté cet argument, parlant d’« une négligence du législateur » et ajoutant :

« Même si nous acceptons cette interprétation, la loi ne devrait pas s’appliquer automatiquement dès qu’une demande d’asile est déposée. Sinon, l’accusé aurait été acquitté immédiatement. »

Un cercle vicieux : tribunaux et services d’asile en conflit

Un autre accusé syrien, A., blessé dans une attaque à la bombe, avait fui la Turquie pour éviter une expulsion vers la Syrie. Il a expliqué :

« Je ne savais pas que je commettais un crime. Je voulais juste être sauvé et ne pas être renvoyé en Syrie. »

Ses avocats ont dénoncé une faille du système : les services d’asile rejettent souvent les demandes des réfugiés emprisonnés, en attendant le verdict de leur procès. Mais les tribunaux, eux, exigent que les accusés prouvent leur statut de réfugié – un cercle vicieux qui prive ces personnes de toute protection légale.

Préjugés au tribunal : le cas de P.O.

P.O., un Syrien ayant survécu à de multiples tortures, était également un réfugié de guerre et une victime de refoulement. Fuyant la Syrie, il avait d’abord trouvé refuge en Turquie, avant d’envoyer sa femme et sa belle-fille en Grèce. Ne pouvant pas financer son propre passage, il avait pris la barre du bateau pour les rejoindre.

Lors du procès, la procureure a souligné que, selon des témoignages, P.O. avait payé 4 000 euros pour le transport de sa famille, bien que cet argent ne soit pas directement lié à lui. La juge, cependant, a exprimé des doutes sur la légitimité de sa demande d’asile et a lancé de manière accusatrice :

« Assad est tombé ! Comment pouvez-vous être Syrien et ne pas savoir ce qui se passe dans votre pays ? »

P.O. a calmement répondu :

« Madame la Présidente, le régime d’Assad est tombé après mon emprisonnement en Grèce. »

La juge, visiblement surprise par cette réponse, n’a pas répliqué.

Le tribunal a néanmoins reconnu les circonstances particulières de P.O., notamment son statut de réfugié et son engagement envers sa famille, soulignant qu’il avait d’abord envoyé sa femme et sa fille, avant de tenter de les rejoindre. Sa défense a insisté sur le fait qu’il avait pris cette décision par désespoir, n’ayant pas les moyens de payer le passage pour lui-même.

La procureure, bien qu’elle ait reconnu que P.O. était un réfugié, a insisté sur l’application stricte de la loi. Elle a souligné que, même si P.O. se présentait comme un réfugié, sa prise en charge du bateau le rendait responsable, dans l’esprit de la loi, de la « prise en charge » d’autres migrants.

P.O. a été condamné à 25 ans de prison avec une possibilité de réduction, mais sa peine a été suspendue jusqu’à l’appel, à condition qu’il ne quitte pas le pays.

Un recul dans le traitement des demandeurs d’asile

Lorsque la loi est stricte, elle est appliquée sans compromis, mais quand il s’agit de demander une exception pour les demandeurs d’asile, la situation devient plus ambiguë. Comme l’a souligné l’avocat Dimitris Choulis, « Encore une journée dans les tribunaux grecs. » Il a rappelé que, contrairement aux décisions récentes des tribunaux de Samos qui ont reconnu qu’un demandeur d’asile ne peut être considéré comme un passeur, les récentes décisions judiciaires semblent marquer un recul. « Ces tribunaux ont décidé de faire un pas en arrière », a-t-il constaté, déplorant le fait que l’année écoulée a vu l’emprisonnement de 100 individus, dont 70 avec un profil de réfugié.

Au cœur de ce débat se trouve une question fondamentale : la société semble privilégier la punition et les peines lourdes, plutôt que de s’attaquer aux causes profondes de la migration, comme les conflits et les politiques internationales. Cette tendance, notée par la juriste Ioanna Begiazi, exacerbe le cycle vicieux de l’asile, où la criminalisation des migrants mène souvent au rejet de leur demande d’asile et vice versa. « C’est une situation problématique », a-t-elle souligné, « non seulement du point de vue de l’État de droit, mais surtout pour la vie des personnes concernées. »

Enfin, l’application sélective de la loi, parfois rigide, parfois interprétée de manière plus flexible selon les cas, soulève de nombreuses interrogations.

« La loi est claire, elle exclut les demandeurs d’asile non seulement pour l’entrée illégale, mais aussi pour l’aide à la circulation des ressortissants de pays tiers », a insisté Begiazi.

Pourtant, face aux décisions récentes, certains juges semblent choisir d’ignorer ces exceptions, préférant interpréter la loi à leur manière et mettant en avant une « négligence du législateur ». Un dilemme qui place la justice grecque à la croisée des chemins : respecter les principes humanitaires et les engagements internationaux ou se plier à une logique punitive et répressive.

L’avenir de ces affaires dépendra de la capacité des tribunaux à naviguer entre ces deux impératifs, tout en évitant de sacrifier les droits fondamentaux des individus au nom de la sécurité nationale.

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