
Au cœur d’Athènes, les parents du quartier d’Exarchia s’alarment de ce qu’ils dénoncent comme un démantèlement silencieux du service public de la petite enfance. Le nombre de places en crèche municipale a chuté de manière vertigineuse : passant de 125 en 2017 à seulement 32 aujourd’hui, contraignant de nombreuses familles à se tourner vers des établissements privés coûteux ou à envoyer leurs enfants dans des quartiers lointains.
Reportage de Nektaria Psaraki
De 125 à 32 : les places en crèche s’évaporent à Exarchia
Selon l’Assemblée Générale des Parents des crèches d’Exarchia, tout a commencé avec un décret présidentiel de 2017 qui a aligné les normes de construction des crèches sur les standards européens. Bien que ces nouvelles règles visent à améliorer la sécurité et la qualité d’accueil, en imposant par exemple 3,5 m² d’espace extérieur par enfant, elles ont un effet écrasant dans des zones urbaines denses comme Exarchia, où l’espace est déjà rare.
Les municipalités avaient jusqu’à 2019 pour se mettre en conformité, mais les prorogations successives ont retardé l’application. Aujourd’hui, avec la fin de la période transitoire prévue pour 2025, les conséquences deviennent visibles : aucun nouveau local n’a été trouvé, et ceux existants sont progressivement déclarés non conformes.
Quand les réglementations facilitent la gentrification
« Ce n’est pas une question de sécurité, c’est un choix politique », déclare un membre de l’AG, estimant que l’inaction de la mairie s’inscrit dans une dynamique plus large de gentrification et de « touristification » du quartier, historiquement populaire et engagé.
« Les structures privées trouvent des bâtiments adaptés, tandis que la municipalité nous répète qu’il n’y a rien de disponible », ajoute un autre parent, pointant du doigt une volonté de chasser les habitants de longue date d’Exarchia.
La réponse de la mairie : « Ce n’est qu’une question de procédure, pas de politique »
Les responsables municipaux rejettent ces accusations. Popi Giannopoulou, vice-présidente de la Fondation municipale des crèches d’Athènes, insiste sur le fait que la pénurie de locaux est un problème réel et concret. « Ce n’est pas une décision politique, mais une question de procédure », affirme-t-elle. « Le secteur public ne fonctionne pas comme le privé. Il faut des autorisations, des appels d’offres, du temps. Ce n’est pas si simple. »
Des bâtiments vides, un potentiel inexploité
Mais les familles restent sceptiques. Elles citent de nombreux bâtiments inutilisés ou laissés à l’abandon dans le quartier, qui pourraient, selon elles, être réaménagés si la volonté politique existait. La municipalité, de son côté, affirme ne pas pouvoir financer de telles rénovations, le décret stipulant que ces frais relèvent du ministère de l’Intérieur.
Une crèche située rue Themistokléous a même été jugée dangereuse en raison des travaux du métro sur la place d’Exarchia : sa sortie de secours est désormais bloquée par des palissades en métal.
Lors d’un récent conseil municipal, Giannopoulou a promis qu’aucun enfant ne serait refusé cette année, mais a reconnu que sans nouveaux locaux, l’an prochain serait une autre histoire. Elle a appelé les habitants à signaler tout bâtiment potentiel, s’engageant à les inspecter personnellement.
« Si nos enfants partent, nous partons aussi »
En attendant, des familles se tournent vers des crèches d’autres quartiers, comme celle de la place Vathi, où des places sont encore disponibles – mais beaucoup refusent. Problèmes de toxicomanie, insécurité : ces secteurs suscitent de fortes réticences. « Ce n’est pas réaliste », témoigne un parent. « Pour des familles qui travaillent, traverser la ville chaque jour avec un tout-petit, ce n’est tout simplement pas possible. »
Pour beaucoup, cette crise des crèches reflète une transformation sociale plus large. Les loyers explosent à Exarchia, les locations Airbnb se multiplient, et les habitants de toujours se sentent de plus en plus exclus. « En gros, on nous dit : s’il n’y a pas de place pour vos enfants, partez. Mais si nos enfants s’en vont, nous partirons aussi », résume une mère.
L’AG des parents ne baisse pas les bras. Deux manifestations ont déjà eu lieu ce mois-ci, avec une revendication claire : 100 nouvelles places dans les crèches du quartier. « On n’arrêtera pas tant qu’il n’y aura pas de vrais changements, pas seulement pour nous, mais pour toutes les familles qui viendront après », martèle un membre de l’AG.
Leurs slogans résonnaient devant la mairie d’Athènes, entre banderoles, tracts et chants :
« Donnez-nous les bâtiments pour construire des écoles – avant que tout ne devienne bars et hôtels. »
« Ils ne sont pas quinze, ils ne sont pas trente-deux, ils sont cent – et ils ont besoin d’une école. »
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